IGOR, THOMAS, SYLVIE

« La science et l’industrie réunies pour innover ! »

Le Congrès France Bioproduction, coorganisé par Polepharma et Medicen, tiendra sa 9ᵉ édition les 19 et 20 mars au Palais des Congrès de Tours. Cet événement de référence vise à dynamiser l’écosystème de la bioproduction en favorisant les collaborations innovantes, comme le projet CLIMBIN, lauréat de l’AMI « Nouvelles biothérapies et outils de production », financé par Bpifrance à hauteur de 1,6 millions d’euros. 

Premier décryptage avec trois protagonistes en amont du congrès : 

  • Igor Chourpa, Professeur, Université de Tours / UPR 4301 CNRS
  • Sylvie Roussel, CEO Ondalys
  • Thomas Saillard, Ingénieur Développement des Procédés – Bioengineering, Servier

Ce projet CLIMBIN associe plusieurs expertises. Pourriez-vous chacun vous présenter et expliquer, en quelques mots, votre savoir-faire reconnu dans le secteur ?  

Igor Chourpa : Professeur de chimie analytique à la faculté de pharmacie de Tours et directeur adjoint de l’unité CNRS Centre de Biophysique Moléculaire (CBM), je me spécialise depuis 30 ans dans les techniques de spectroscopie moléculaire optique, notamment la technologie Raman. Je dirige le département NMNS (Nanomédicaments et Nano-Sondes) du CBM, composé du personnel de l’université de Tours, et j’ai coordonné le projet collaboratif CLIMBIN, axé sur le développement de l’approche PAT (Process Analytical Technology) par spectroscopie Raman pour le suivi en temps réel de la bioproduction d’anticorps thérapeutiques. Ce projet, mené par un consortium associant partenaires industriels comme les Laboratoires Servier (Gidy), Ondalys et Indatech (Chauvin Arnoux) et laboratoires académiques, le NMNS et le LRGP de l’université de Lorraine, a abouti à des avancées majeures en trois ans, avec des travaux réalisés notamment au Bio3 Institute, cogéré par le Groupe IMT et l’Université de Tours. 

Sylvie Roussel : Ingénieur agronome et docteur spécialisé en analyse de données, j’ai fondé Ondalys à Montpellier il y a 22 ans, une entreprise centrée sur le machine learning pour l’analyse de données instrumentales, dans divers secteurs industriels dont le développement de procédés en biotechnologie. Nous traitons des données spectroscopiques issues de laboratoires ou de productions pilotes afin d’aider nos clients à mieux caractériser et contrôler leurs produits et bioprocédés, en utilisant les approches QbD et PAT. Dans le cadre du projet CLIMBIN, nos équipes ont conçu des modèles de prédiction des paramètres critiques du procédé (CPPs) et des attributs critiques de la qualité (CQAs), basés sur des capteurs spectroscopiques innovants développés par Indatech.

Thomas Saillard : Ingénieur en biotechnologie, j’ai rejoint Servier il y a quatre ans comme Ingénieur Développement des Procédés, au sein du Bioengineering, le département de développement des procédés de production d’anticorps monoclonaux de l’unité Bio-S sur le site de Gidy, au nord d’Orléans. Dans le cadre du projet CLIMBIN, j’ai contribué à la conception industrielle de la sonde en collaboration avec Indatech, en veillant à sa conformité avec les exigences réglementaires, de qualité et de précision. Nous avons également généré des données en conditions réelles, à travers plusieurs lots de production d’anticorps monoclonaux par des cellules CHO dans des bioréacteurs afin de suivre les CQAs et CPPs. Ces données ont permis à Ondalys d’affiner ses algorithmes. L’objectif était de tester et valider l’outil, d’abord en phase de développement, puis pour un usage industriel.

Pourquoi est-il essentiel de participer au Congrès France Bioproduction, coorganisé par Polepharma et Medicen, qui réunit chaque année un nombre croissant d’acteurs de la filière ?

Igor Chourpa : Communiquer sur les résultats positifs de notre projet collaboratif CLIMBIN est essentiel pour partager notre réussite avec l’écosystème de la bioproduction et nourrir notre ambition pour de futurs projets. Le laboratoire NMNS a investi plus de 500 000 euros dans des équipements de bioproduction et PAT, renforçant ainsi sa capacité à s’impliquer dans de nouvelles initiatives post-CLIMBIN. Au-delà des conférences et des ateliers technologiques que propose le congrès, nous souhaitons élargir nos partenariats avec d’autres fabricants et utilisateurs. Notre participation régulière au fil des années nous a permis de constater que cet événement reflète fidèlement l’état de l’art et joue un rôle essentiel en mettant en avant les avancées technologiques et les perspectives du secteur.

Sylvie Roussel : Participer au congrès permet, pour les équipes d’Ondalys, de rencontrer le réseau biotech et bioproduction, de développer des contacts, et de générer de nouveaux projets collaboratifs. Ce sera aussi l’occasion de présenter le projet CLIMBIN, financé par l’État et achevé fin 2024, et de partager ses résultats et enseignements avec la filière.

Thomas Saillard : En tant qu’acteur industriel, participer à cette rencontre est essentiel pour échanger avec les fournisseurs de nouvelles technologies, assurer une veille scientifique, et rencontrer d’autres industriels confrontés à des problématiques similaires, dans un cadre français et ouvert à l’international. Ces deux jours favorisent les échanges, les collaborations et la création de projets innovants comme CLIMBIN. Partenaire du Congrès France Bioproduction en 2024, Servier, en pleine transition vers la bioproduction, y voit une opportunité d’accélérer son développement en échangeant avec d’autres entreprises.

Qu’est-ce qui rend votre démarche innovante au sein de la filière ?  

Igor Chourpa : Malgré l’intérêt pour la technologie PAT-Raman, son application industrielle reste limitée par sa complexité et la difficulté de valoriser les données. Le projet CLIMBIN visait à développer et tester une solution intégrale pour l’application industrielle de la technologie PAT-Raman, en améliorant l’instrumentation, les protocoles de mesure et l’analyse de données. L’optimisation du matériel par Indatech, les expertises respectives en spectroscopie du NMNS et en bioréacteurs de petite taille du LRGP, ont permis d’obtenir des données fiables. Technologies Servier a validé l’approche sur des lots de grande taille, tandis qu’Ondalys a optimisé l’analyse des résultats. Chaque partenaire a ainsi contribué à lever les freins à l’adoption industrielle de cette technologie.

Thomas Saillard : En trois ans, le projet a démontré la faisabilité du suivi non intrusif de certains paramètres critiques de procédé (CPP) et des attributs critiques de qualité (CQA), avec des résultats en cours de publication. L’intégration de cette technologie PAT-Raman permettrait de suivre en ligne des variables comme les métabolites, les nutriments et les déchets cellulaires et le comportement des cellules (concentration et viabilité cellulaire), renforçant ainsi le contrôle du procédé dès les premières phases de production.

Sylvie Roussel : Le projet, financé par Bpifrance, ambitionne de créer une solution clé en main pour le suivi des étapes critiques de la production d’anticorps, combinant matériel, logiciel et traitement des données, utilisable en environnement industriel et académique. Bien que les tests en laboratoire et chez Servier aient validé les modèles de prédiction, l’intégration directe aux sondes d’Indatech pour une analyse en temps réel pendant la culture reste encore à développer. Mais les résultats sont déjà positifs !

Comment la technologie Raman révolutionne-t-elle le pilotage des bioprocédés et pourrait-elle transformer l’écosystème de la Bioproduction ?

Thomas Saillard : Les opportunités résident dans l’amélioration des outils permettant un suivi plus précis de la production d’anticorps, en particulier pour les paramètres process communs comme les métabolites ou le comportement cellulaire, tout en restant non invasifs et sécurisés. En observant et en qualifiant la qualité du produit pendant sa production, on pourrait améliorer la compréhension du processus et intervenir rapidement pour ajuster le procédé si nécessaire. Cela permettrait de réduire le temps et les coûts de développement des biothérapies. 

Sylvie Roussel : Bien que l’application du projet CLIMBIN soit focalisée sur les cultures CHO et la production d’anticorps monoclonaux, la technologie Raman, grâce à des sondes in situ et aux concepts de CQA et CPP, peut être utilisée dans d’autres types de cultures cellulaires comme les bactéries ou les levures. Sa flexibilité permet une adaptation à diverses modalités de bioproduction, notamment la production continue ou en perfusion. Les sondes d’Indatech sont conçues pour s’appliquer à tous types de productions cellulaires, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives prometteuses pour la filière.

Quels sont, selon vous, les principaux enjeux de la filière et quelles évolutions seraient souhaitables ?  

Sylvie Roussel : Le principal enjeu de la bioproduction est de réduire son coût. Avec Indatech, deux projets sont en cours : CLIMBIN pour les anticorps monoclonaux (mAbs) et ACCESS pour les cellules souches mésenchymateuses (CSM) avec l’intégrateur MTInov. L’objectif est d’optimiser la production de ces molécules chimiques produites par les cellules. Ces projets ont été soutenus par l’État français et Bpifrance, car ils visent à réduire les coûts de production des biomédicaments en améliorant la productivité, augmentant la concentration des produits et en évitant la perte de lots coûteux. Cela se fait grâce à des mesures in situ et un contrôle en temps réel pour anticiper les dérives et dysfonctionnements, afin de produire plus rapidement, avec la meilleure qualité possible. 

Igor Chourpa : Actuellement, de nombreuses analyses sont réalisées hors ligne, selon les techniques de référence. Cependant, une fois que les méthodes PAT seront validées comme performantes et stables, elles permettront de supprimer les coûts associés à ces analyses traditionnelles, qui nécessitent des consommables, des réactifs, et génèrent des déchets. Cela aura un impact écologique et financier positif, tout en réduisant les risques de non-conformité des lots, entraînant ainsi des économies. L’objectif est aussi d’être plus efficient dans l’utilisation des ressources. Enfin, les outils PAT sont très utiles pour les nouvelles stratégies de bioproduction (continue, perfusion) et ainsi se positionnent sur l’avenir de la filière.

Pourquoi ce partenariat incarne-t-il un modèle inspirant d’innovation collaborative pour tout le secteur ?

Sylvie Roussel : Notre partenariat repose sur des compétences complémentaires : ceux qui maîtrisent la culture cellulaire, ceux qui connaissent la spectroscopie, des experts théoriques comme les académiques, mais aussi pratiques comme les équipementiers et industriels, et ceux spécialisés dans le traitement des données. En associant le secteur public et privé, nous validons les idées académiques sur le terrain grâce à l’industrie et les équipementiers, créant ainsi une synergie qui mène à une recherche à la fois appliquée et fondamentale.

Thomas Saillard : Ce projet est un exemple d’innovation pluridisciplinaire, réunissant plusieurs partenaires pour développer une nouvelle technologie répondant à un besoin commun de l’industrie. Tous les acteurs ont aligné leurs efforts dès les premières phases, avec une création et une direction communes, visant à atteindre l’objectif final. Il s’agit d’une collaboration d’expertises pour offrir une solution précise et performante à un besoin applicatif spécifique.

Igor Chourpa : Ce projet illustre l’innovation dans le temps à travers l’évolution du hardware, des protocoles d’utilisation dans les processus, et de l’interprétation des données. Il représente un modèle de confiance, soutenu par un grand industriel comme Servier, qui apporte son expertise pour répondre à un besoin exprimé par la filière.

Comment Polepharma et Medicen dynamisent-ils la croissance et l’innovation en Bioproduction ?

Sylvie Roussel : Ondalys et Indatech, adhérents à Polepharma, participent régulièrement aux conférences et journées d’échange du cluster en tant que fournisseurs de la filière. L’objectif est de rencontrer l’écosystème pour explorer de futurs projets et diffuser l’innovation, comme prévu lors de notre présentation de CLIMBIN au prochain Congrès France Bioproduction.

Igor Chourpa : Polepharma joue un rôle clé en Centre-Val de Loire pour dynamiser la bioproduction. Grâce à ses événements et ateliers, nous bénéficions d’une visibilité régionale et sommes régulièrement invités. J’ai ainsi rejoint le comité d’organisation du Congrès France Bioproduction 2025 et je participerai au prochain Congrès Polepharma du Biotesting à Évreux. Nous apprécions l’animation de la filière qu’offre Polepharma.

Thomas Saillard : Servier s’engage activement dans le développement de la bioproduction en France, notamment en Centre-Val de Loire, où son site à Gidy, au nord d’Orléans, joue un rôle clé. Partenaire du Congrès France Bioproduction 2024, l’entreprise est également présente cette année au comité de programmation au travers de Sandrine Mallet, directrice biomanufacturing et du projet Bio-S. Aux côtés de Polepharma et Medicen, qui dynamisent la filière via événements et ateliers, Servier contribue à structurer l’écosystème, notamment avec France BioLead, face aux enjeux européens de souveraineté sanitaire. Dans cette dynamique, le projet CLIMBIN se distingue comme une collaboration innovante, renforçant l’intelligence collective et la compétitivité de la filière, et des initiatives à encourager pour repositionner la France en leader de la santé de demain.

Propos recueillis par Marion Baschet Vernet