Président du Groupe Servier, Olivier Laureau préside la 8ème édition du Congrès France Bioproduction, organisé par Polepharma et Medicen, les 3 et 4 avril prochains, au Palais des Congrès de Paris-Saclay, à Massy (Essonne). « Une formidable opportunité de faire naitre de nouvelles synergies et de concrétiser nos ambitions de leadership », selon lui. Membre fondateur de France BioLead, le Groupe Servier est un acteur clé et engagé dans le développement d’une filière française de bioproduction forte et compétitive, alors que les produits biologiques représentent déjà 50 % de son portefeuille de projets R&D en oncologie et dans les maladies auto-immunes, et que l’unité pilote Bio-S va passer en production sur son site de Gidy (Loiret).
Comment vous présenter en quelques mots ?
Je préside le Groupe Servier depuis dix ans, pendant lesquels j’ai engagé un vaste plan de transformation du groupe, tout en continuant d’assurer notre engagement pour le progrès thérapeutique au bénéfice des patients. Notre singularité est d’être gouverné par une fondation, ce qui confère à notre groupe indépendance et vision à long terme. Nous réinvestissons également tous nos bénéfices dans le développement pour continuer d’innover pour les patients. Ces deux points confortent un modèle bien adapté à notre industrie, plutôt régie par un temps long. Au-delà de mes fonctions, je suis très impliqué dans les débats actuels, et auprès des parties prenantes, en tant qu’administrateur du G5 Santé et de l’EFPIA, dont je pilote le comité innovation, et je suis également membre de la Biopharmaceutical CEOs Roundtable (BCR), un forum mondial sur les politiques de santé, qui réunit les pdg des entreprises membres de la Fédération internationale de l’industrie du médicament (FIIM).
Comment les biomédicaments et la bioproduction sont-ils devenus stratégiques pour votre groupe ?
Notre portefeuille de candidats biomédicaments s’est notamment développé depuis 2020 avec l’acquisition de Symphogen au Danemark, une plateforme de développement d’anticorps thérapeutiques, qui contribue aujourd’hui largement à nos activités. Et cela fait déjà quelques années que le Groupe Servier fournit des produits anti-cancéreux d’origine biologique, notamment Oncaspar et Asparlas pour le traitement de la leucémie lymphoblastique aigüe.
Nos axes d’innovation dans les biothérapies s’orientent en particulier vers de nouveaux candidats médicaments à base d’anticorps, en particulier des bispécifiques, ou couplés à des substances actives (Antibody-Drug Conjugates, ADC). A ce jour, près de 50% de nos projets R&D visent des produits biologiques dans les domaines de l’oncologie et des maladies auto-immunes.
En parallèle, nous avons investi 85 millions d’euros dans notre première unité de bioproduction (Bio-S) sur notre site de Gidy (Loiret). Cette surface de 10 000 m², en cours de qualification auprès de l’ANSM, devrait être opérationnelle début 2025. Bio-S a déjà permis de créer 65 emplois directs. L’objectif est de disposer d’une unité de production de principes actifs issus de cellules vivantes pour nos études précliniques et cliniques.
Ces développements sont en ligne avec la stratégie du Groupe Servier de développer un portefeuille unique de médicaments en oncologie, mais aussi une volonté historique de créer de la valeur en France en renforçant notre souveraineté sanitaire dans le domaine des biomédicaments, alors que notre pays est encore dépendant à plus de 95% de ses importations. Pour avancer plus rapidement sur ces sujets, notre groupe est membre fondateur de l’alliance France BioLead et du Campus Biotech Digital.
Pourquoi avoir accepté de présider le Congrès France Bioproduction 2024 ?
Je suis très honoré de présider ce congrès, qui s’inscrit naturellement dans le cadre de notre participation aux différentes structures comme Polepharma et Medicen, qui animent et facilitent le déploiement de la filière de bioproduction française. L’événement arrive à point nommé alors que nous allons bientôt lancer la production dans notre première unité de bioproduction (Bio-S), à Gidy, près d’Orléans. Nous nous sentons donc, et plus que jamais, membre de cette communauté des acteurs de la bioproduction !
Et comme à l’avenir, Bio-S ne couvrira pas tous les besoins du groupe, nous sommes aussi très intéressés par le développement de nouvelles capacités dans l’Hexagone pour continuer de nous appuyer sur des tiers de confiance pour la production de certains de nos biomédicaments contre le cancer.
Quels sont les enjeux qui vont dominer l’agenda des entreprises françaises de la bioproduction au cours des cinq prochaines années ?
L’enjeu principal consiste à identifier les meilleures innovations pour améliorer les processus de bioproduction, par exemple la possibilité d’améliorer le contrôle grâce à l’usage de sondes de nouvelle génération assistées par des systèmes d’analyse, qui sont pilotés par l’intelligence artificielle.
Par ailleurs, l’innovation technologique pour des procédés industriels plus efficients doit bien entendu être au service d’une industrie plus durable, en particulier moins énergivore et meilleure pour l’environnement. Les critères de durabilité ne sont plus une option : ils doivent être intégrés dès la conception d’une innovation technologique, mais aussi à chaque mise au point de procédé et lors du choix de matière première. Le Groupe Servier s’est ainsi engagé à réduire de 25% ses émissions de CO2 d’ici 2030 sur l’ensemble de ses activités. Nous avons également développé un programme
EcoDesign, qui permet de réguler l’impact de nos activités sur l’environnement tout au long du cycle de vie des médicaments. Depuis fin 2023, 100% des nouvelles synthèses chimiques sont évaluées via l’outil « Green score » qui intègre les principes de la chimie verte. D’ici 2025, le Groupe Servier s’engage également à intégrer des principes d’écoconception à ses emballages.
En complément, et afin de bénéficier au mieux des nouvelles technologies, il est indispensable pour les industriels de disposer de personnels spécialisés et hautement qualifiés. C’est pour répondre à ce besoin que le Campus Biotech Digital, dont le Groupe Servier est membre fondateur, a mis en place à partir de 2022 des formations virtuelles sur la plateforme Immerscio.bio.
Le financement de l’innovation biotech est-il également une préoccupation ?
Les biomédicaments sont en évolution constante et représentent aujourd’hui un panel de modalités thérapeutiques de plus en plus large. Il y a trente ans, la biotechnologie était synonyme de protéines recombinantes et d’anticorps. Aujourd’hui, une biothérapie peut être un dérivé d’anticorps (bispécifiques, ADC), un ARN messager, un oligonucléotide antisens, un vecteur viral, ou l’ensemble des approches de thérapie cellulaire telles que les CAR-T. Ces différentes modalités thérapeutiques correspondent à des approches industrielles et des besoins technologiques très différents avec des applications exigeantes. Conséquence : la France, et a fortiori un industriel, ne peut mener de front des investissements d’ampleur sur tous ces axes. Un enjeu fort est donc de faire des choix, qui prennent en compte le potentiel thérapeutique de chaque modalité, sa réalité industrielle et la capacité de mise à disposition aux patients dans de bonnes conditions de qualité et de coût.
Le choix du Groupe Servier a donc été de se focaliser sur des biothérapies à notre portée sur le plan industriel pour développer de nouveaux médicaments dans des délais et des conditions compatibles avec les besoins des patients. Il s’agit principalement d’anticorps thérapeutiques et de leurs dérivés, et des nucléotides antisens, qui permettent de réguler l’expression de protéines clés dans une pathologie, sans recourir à la thérapie génique, plus complexe et invasive.
Enfin, l’innovation ne doit pas être considérée seulement sous l’aspect financier. Cela implique de nombreux acteurs et relève de partenariats public-privé déterminants pour identifier très tôt les technologies les plus prometteuses, et les soutenir à la fois par des investissements et un travail collaboratif, pour garantir le maximum de chances de réussite. Nous favorisons cette dynamique partenariale autour des biothérapies au travers de Medicen, Polepharma et France BioLead, au sein desquels nous sommes très présents, mais aussi de dispositifs de soutien directement orientés vers les jeunes entreprises, comme notre incubateur Spartners by Servier & BioLabs, qui accompagne les startups en bioproduction. Plus généralement, Servier contribue au financement de l’innovation biotech au travers des fonds InnoBio2 de Bpifrance et Kurma3 qui soutient les jeunes entreprises en biotechnologie.
Le Groupe Servier est membre fondateur de France BioLead, créé en décembre 2022. Comment contribuez-vous à cette nouvelle dynamique et à la reconquête de leadership ?
Nous participons à plusieurs groupes de travail au sein de France BioLead dédiés à l’organisation de la filière, aux innovations de rupture, aux financements et questions réglementaires. Nous sommes aussi impliqués, comme Polepharma, dans l’organisation de la première Journée Nationale de la Bioproduction de Biomédicaments de France Biolead, qui aura lieu le 5 juillet prochain.
Au-delà, la reconquête d’un leadership en Europe est largement soutenue, créant un momentum très favorable. C’est une priorité du programme d’investissement France 2030, déployé par l’État, avec une enveloppe de 800 millions d’euros dédiée à l’objectif de produire 10 biomédicaments contre les cancers et les maladies chroniques, dont celles liées à l’âge, et de créer les dispositifs médicaux de demain. L’innovation biotech peut également s’appuyer sur un réseau d’intégrateurs de bioproduction sur le territoire, constituant autant de sites pilotes en la matière, chacun avec ses spécificités.
Un autre élément – et non des moindres – est la volonté commune de l’ensemble des acteurs académiques et industriels, dont fait partie le Groupe Servier, de discuter et collaborer pour développer une bioproduction compétitive en France. C’est l’axe de travail sur lequel se concentrent Medicen, Polepharma, France BioLead, mais également des organismes moins spécialisés, mais très concernés, comme France Biotech et G5 Santé. Au-delà du sens de l’effort collectif au sein de notre communauté pharmaceutique, nous avons de nombreux points forts : notre expertise académique, la bonne dynamique entrepreneuriale avec des plateformes technologiques innovantes et des projets thérapeutiques, et un soutien fort de la part des industriels établis, qui investissent de façon importante.
Quels défis reste-t-il à relever par la filière ?
Un des premiers défis – déjà souligné – est de faire face à la diversité des biothérapies et de parier sur celles qui sont les plus pertinentes pour une indication donnée.
Un autre point de difficulté est d’avoir des cycles d’investissement industriels longs : il faut du temps pour évaluer, valider, déployer et qualifier un nouveau processus de production, avec souvent des impacts importants en amont (R&D) et en aval (chaîne d’approvisionnement). Et toutes les évolutions technologiques concernant les bioprocédés doivent aussi s’inscrire dans un cadre réglementaire, qui doit parfois évoluer pour accompagner leur mise en place sur les sites de production.
En outre, et même si les bioprocédés sont tous différents, ils peuvent aussi rencontrer les mêmes contraintes et les mêmes besoins, en termes de matières premières, déchets, formation ou encore gestion des compétences. Sur ces sujets, le partage d’information et l’intégration au niveau national représentent un enjeu majeur. C’est ici que le rôle des associations professionnelles est essentiel. Enfin, il y a le défi de développer des processus de bioproduction qui soient efficients et compétitifs, et cela va de pair avec la construction d’une filière d’avenir qui intègre des critères de durabilité, sur le plan environnemental, énergétique et sociétal.
Quels sont les axes prioritaires de développement pour le Groupe Servier et la filière d’ici 2030 ?
Au-delà du déploiement complet de notre site de bioproduction dans le Loiret, l’échéance de 2030 s’inscrit dans le cadre d’un plan de développement pour le Groupe Servier qui vise notamment à renforcer notre activité en oncologie, identifiée comme un pilier de croissance stratégique. Nous y consacrons 70% de notre budget R&D avec l’ambition de devenir un acteur innovant dans le développement de traitements de rupture ciblant les cancers rares et difficiles à traiter. Cet investissement majeur se traduit aujourd’hui par un pipeline riche de 36 projets en R&D et 7 médicaments sont déjà à disposition des patients dans l’oncologie.
Pour notre filière de bioproduction, les axes de développement sont nombreux et principalement d’ordre technique ou technologique. D’une façon générale, il s’agit d’amener les activités de bioproduction, qui sont relativement récentes à l’échelle de nos sociétés, à un niveau d’industrialisation et de performance similaire aux autres industries, par comparaison notamment aux processus de synthèse chimique, qui bénéficient de plusieurs décennies d’innovation et d’optimisation. Cela passe, par exemple, par l’intégration de capteurs spécifiques dans nos bioréacteurs pour assurer un contrôle en ligne, la mise en place de nouveaux milieux de culture (qui sont une matière première critique et déterminante pour le rendement de la production) ou encore la mise à l’échelle industrielle d’une production, qui a été développée sur de plus petits volumes. En parallèle, les technologies récentes doivent permettre de passer rapidement à des modalités de production assistées par l’intelligence artificielle, afin de mieux en réguler les paramètres, voire mieux anticiper les évolutions grâce à la mise en place de jumeaux numériques de chaque unité.
Quelles avancées et retombées espérez-vous du Congrès France Bioproduction ?
Nous avons évoqué plus haut l’importance du travail collectif et des partenariats public-privé pour la filière de bioproduction. Comme espace essentiel de rencontre, le Congrès France Bioproduction favorise les discussions spontanées et la fertilisation croisée entre les acteurs académiques et industriels, les biotechs, les fournisseurs d’équipements, les porteurs de projets et startuppers, les chercheurs, tout en créant l’émulation avec la génération montante des doctorants et post-doctorants. Les retombées seront multiples, allant de la dissémination d’informations scientifiques et techniques, à la mise en relation entre industriels et académiques, jusqu’à la naissance de nouvelles collaborations. Ce rendez-vous annuel majeur de la bioproduction française est aussi l’occasion de constater à quel point ce secteur est dynamique et se développe continuellement depuis plusieurs années. Tous les participants, fédérés sous la bannière de France Biolead, ont une ambition commune : faire de la France un leader de la bioproduction en Europe à l’horizon 2030. Nous avons donc, grâce à ce congrès, une formidable opportunité de faire naitre de nouvelles synergies, qui permettront de répondre à cet objectif, et de concrétiser nos ambitions !
En quoi Polepharma et Medicen sont-ils des atouts pour préparer l’avenir ?
Nous sommes actifs avec Polepharma pour développer les échanges avec les acteurs
du réseau, promouvoir les offres d’emplois et de formation. Polepharma participe aussi aux événements de la filière et inter-filières pour faire rayonner l’excellence pharmaceutique en France et à l’international. Le cluster met en lumière des acteurs clés du réseau, qui en deviennent les ambassadeurs, et bénéficient de l’opportunité de participer à des conférences, tables rondes, interviews dans la presse, visites de sites en présence de personnalités politiques…
Par ailleurs, le Groupe Servier participe régulièrement aux « Rencontres Polepharma ». Nous étions présents lors du lancement d’un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) pour recenser et faire émerger des projets partenariaux innovants public-privé en Centre-Val de Loire. Ces projets doivent s’inscrire dans le périmètre du Domaine Prioritaire de Spécialisation (DPS) régional « De l’innovation thérapeutique à la transformation industrielle pour la filière du médicament » (DPS2). De plus, et pour faciliter les échanges autour de l’AMI entre les acteurs R&D et Innovation des entreprises et du secteur académique, nous avons aussi participé à l’Afterwork – Matchmaking, le 7 septembre, à Tours.
Servier est également membre de Medicen depuis sa création en 2005. Nous sommes
impliqués à la fois dans sa gouvernance et dans certains groupes de travail, en particulier le comité de labellisation des projets, et bien entendu sur le volet bioproduction, en partenariat avec Polepharma.
Quelles évolutions sont souhaitables à l’avenir ?
De nombreux éléments sont déterminants pour que la France relève le défi de la bioproduction, en particulier sur le plan technologique. Un des corollaires à cette montée en gamme et à l’augmentation de notre compétitivité est de disposer du savoir-faire pour passer du discours à l’action et concrétiser notre ambition dans des projets qui se développent sur nos sites de production et sont créateurs d’emplois. La formation est donc un élément d’anticipation absolument clé. Nous avons besoin de nous assurer de personnel qualifié et de l’adéquation entre les besoins des industriels français et les cursus proposés par les organismes de formation supérieure (écoles et universités). De nombreux acteurs peuvent faciliter cet alignement, à commencer par les régions, Medicen et Polepharma et les membres de ces réseaux. Il est indispensable de s’accorder sur les compétences attendues, mais aussi le nombre de personnes à former, avec la prise en compte des besoins locaux. Pour soutenir cette industrialisation, l’enjeu est de favoriser des bassins d’emplois autour des sites français de bioproduction, qui auront besoin de plus en plus de talents dans les prochaines années !