Jacques Volckmann, vice-président de la R&D de Sanofi en France, s’est fortement mobilisé ces derniers mois dans la structuration et la valorisation des expertises en Bioproduction, une filière stratégique pour l’avenir sanitaire du pays.
En exclusivité, il revient sur les actions engagées par l’initiative Biomédicaments du Contrat Stratégique de Filière (CSF-ITS), qu’il anime en interaction avec l’écosystème, mais aussi sur la feuille de route de l’Alliance France Bioproduction, la nouvelle structure qu’il co-pilote avec Emmanuel Dequier, directeur du Grand Défi Biomédicaments, pour développer une filière pérenne de bioproduction en France.
Les deux artisans de la filière Bioproduction seront présents au Congrès France Bioproduction, les 17 et 18 juin 2021, en digital, qui devrait ainsi servir de catalyseur pour sensibiliser, donner l’impulsion et favoriser la cohésion, au moment du démarrage de ces nouveaux projets qui visent à reconquérir le leadership français.
Qu’est ce que cette année Covid a changé ?
Jacques Volckmann : Ce fut une année totalement inédite, avec une mobilisation incroyable des équipes dès le déclenchement de l’épidémie. De nombreux laboratoires ont réorienté leurs travaux. Et nous avons appris nous aussi à travailler avec la Covid sans ralentir nos activités. Et puis, bien-sûr, des moyens supplémentaires ont été apportés en urgence.
Dans le même temps, la crise a mis en lumière un certain nombre de sujets rendant indispensable et prioritaire la bioproduction. En 2017, sur 97 biomédicaments autorisés en Europe, 6 seulement étaient produits ou prévus de l’être en France. Et moins de 10% des anticorps monoclonaux actuellement utilisés dans le système de santé sont fabriqués sur le territoire. En 2030, 50% des médicaments prescrits seront des biomédicaments.
Si nous ne sommes pas capables d’en produire une grande partie, nous serons soumis aux aléas des marchés mondiaux, avec des risques majorés en termes d’accès à ces produits, de soutenabilité financière et de disponibilité des stocks. Et nous passerons à côté de la chaîne de valeur du biomédicament, puisque les technologies ne seront plus présentes dans l’Hexagone, mais aussi de nouvelles opportunités de croissance et d’emploi pour nos entreprises. La crise a favorisé cette prise de conscience globale de la part des acteurs industriels, mais surtout publics, académiques, hospitalo-universitaires. Avec l’ambition aujourd’hui de rattraper le retard et de se positionner.
Comment cela se concrétise-t-il ?
J.V : L’environnement a profondément évolué depuis le moment où nous avons engagé les premiers travaux de structuration de la filière. En Février 2019, Sanofi a ainsi contribué à la signature du Contrat Stratégique de Filière (CSF-ITS) sur plusieurs axes de développement, dont celui sur la Bioproduction que l’on m’a demandé d’animer. Le Board de l’initiative Bioproduction du CSF-ITS regroupe aujourd’hui un continuum d’acteurs engagés dans la recherche, le développement et la production, qui travaillent de manière transversale à trouver des solutions en termes de gouvernance, de projets et de financements. Avec des actions structurantes et stratégiques qui commencent à être implémentées. Par exemple, le Campus Biotech Digital, qui est une première mondiale. Un consortium industriel (bioMérieux, Novasep, Sanofi et Servier) travaille à la digitalisation de la formation des biomédicaments. Une autre avancée, dans le cadre du Grand Défi Biomédicaments, est la consolidation d’un réseau d’intégrateurs industriels pour accélérer le passage de l’innovation expérimentale à la preuve de concept. Une vingtaine de projets de R&D à fort potentiel d’industrialisation sont également financés, notamment par la BPI (Concours Innovation, Projets Structurants Pour la Compétitivité). Dans cette nouvelle donne, de nombreux industriels comme Sanofi, avec le soutien des pouvoirs publics, ont intensifié leurs investissements conjoints dans les biothérapies.
Quel rôle joue Sanofi dans cette dynamique ?
J.V : Cela fait trois ans que je pilote l’activité R&D de Sanofi, qui représente 4000 personnes, soit environ 40% des effectifs dans le monde. Nous accordons une place capitale à la réussite de nos projets d’innovation en bioproduction. Pour mémoire, nous consacrons un peu plus de 2 milliards d’euros par an à la R&D en France. Ce qui fait de Sanofi, le premier investisseur privé de l’Hexagone en R&D. En constante augmentation, les médicaments biologiques et les vaccins représentent 60% de notre portefeuille R&D avec une priorité donnée aux médecines de spécialité notamment l’oncologie, l’immunologie, les maladies rares, la neurologie, et à la prévention avec les vaccins. Nous avons développé des plates-formes technologiques ultra-modernes et une recherche de pointe dans les anticorps monoclonaux, multi-spécifiques, nanobodies (Ablynx), immunoconjugués (ADCs, Antibody Drug Conjugates), les protéines de fusion, les ARNi, les peptides, les thérapies géniques et les vaccins. Avec derrière, un énorme besoin en compétences, formations, et la nécessité d’interactions plus fines avec l’ensemble de l’écosystème. Plusieurs investissements sont en cours dans nos sites de bioproduction pour soutenir ces développements choisis. Par exemple, dans les anticorps thérapeutiques à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), mais aussi les vaccins au travers de l’EVF (Evolutive Vaccine Facility) en projet à Neuville-sur-Saône et un nouveau laboratoire à Marcy-l’Etoile, ou encore dans la thérapie génique à Lyon Gerland (Rhône). C’est le sens des engagements pris aux côtés de l’Etat à travers la signature du CSF-ITS, visant à développer une filière innovante de bioproduction par l’émergence de technologies de rupture.
Quels sont les objectifs de cet écosystème fédéré de la bioproduction ?
J.V : Nous avons partagé une feuille de route claire et ambitieuse avec le gouvernement pour les années à venir. L’enjeu est de créer les conditions de l’émergence et du succès d’une filière de bioproduction française autour de « bioréacteurs » d’avenir dans nos usines. Pour certains produits innovants, nous devons arriver à « craquer » les verrous technologiques liés à leur production pour améliorer la productivité et rendre leur coût plus acceptable par la collectivité. Pour les anticorps monoclonaux qui sont très utilisés en oncologie et immunologie, l’objectif est ainsi d’augmenter la productivité d’un facteur 100 d’ici 10 ans. Aujourd’hui, 5% seulement des produits sont fabriqués en France, il faut viser 20%. C’est un objectif atteignable d’ici à 2030, en renforçant la compétitivité et l’attractivité de l’offre française en bioproduction.
Quel intérêt présente l’Alliance France Bioproduction pour y arriver ?
J.V : En décembre dernier, le gouvernement nous a mandatés, Emmanuel Dequier du Grand Défi Biomédicaments et moi-même pour l’initiative Bioproduction CSF-ITS, afin de structurer une proposition : mettre en place une Alliance France Bioproduction pour mieux aligner les acteurs et se donner plus de chances de réussite. L’Alliance permettra de donner plus de visibilité à la filière française, mais également de coordonner les partenariats scientifiques de nature à anticiper les technologies nécessaires à la production des biomédicaments de demain. Un autre axe est de faciliter la mise en relation avec les instances réglementaires nationales et européennes. Nous travaillons activement en ce moment sur la structure juridique de l’Alliance, ses enjeux et objectifs, afin d’avoir des propositions concrètes avant l’été à soumettre à la filière et au gouvernement.
Qu’est-ce qui fera la différence à l’avenir ?
J.V : Aujourd’hui, l’innovation en matière de médicaments se trouve dans les laboratoires pharmaceutiques, mais également dans la recherche académique et les biotechs. Comme l’a démontré la course au vaccin contre la Covid. Nous devons donc continuer à favoriser les transferts entre le monde universitaire et les biotechs pour conserver l’innovation sur notre territoire. La prise de risque est un sujet important. Un autre est d’assurer les conditions favorables pour transformer la production clinique des biotechs en production industrielle. Avec un incontournable : le développement de l’offre CDMOs qui, si elle progresse, n’est pas suffisante actuellement pour offrir des capacités industrielles immédiates pour les jeunes entreprises de biotechnologie, ce qui ralentit leur développement. C’est un axe de travail clé pour l’Alliance France Biopproduction qui va soutenir les start-ups, deeptech, fournisseurs de technologies, producteurs pour tiers et CDMOs, pour développer le tissu d’acteurs industriels impliqués dans la filière et, dans le même temps, renforcer l’attractivité de la France comme terre d’accueil de l’innovation.
En quoi le prochain Congrès France Bioproduction, co-organisé par Medicen et Polepharma, sera-t-il aussi un moment fort pour l’écosystème ?
J.V : Avec ce programme ambitieux, le gouvernement donne une nouvelle visibilité qui était très attendue par les acteurs de la bioproduction pour les prochaines années. Le Congrès France Bioproduction devrait contribuer à la prise de conscience globale et sensibiliser au défi majeur de la bioproduction. Nous avons un enjeu de filière à construire, à animer et à coordonner, pour reconquérir notre place. La bonne méthode est de garder le cap sur l’essentiel. Car il y a toujours le risque d’une dispersion des stratégies ou encore d’un saupoudrage des fonds publics. Avec la nécessité de mieux partager nos connaissances, d’aligner les projets et de connecter l’ensemble des acteurs à ce « momentum » pour la filière. Dans la compétition mondiale, notre capacité à aller vite sera aussi fondamentale.
Propos recueillis par Marion Baschet Vernet